Après un an passé dans l'oubli, Nairo Quintana revient pour relever son ultime défi : devenir le premier Colombien à remporter le Tour de France.
Entre juillet 2016 et juillet 2017, on a vu Nairo Quintana à peu près partout. Troisième du Tour de France 2016 derrière Chris Froome et Romain Bardet, il s'était vengé deux mois plus tard sur la Vuelta 2016 en réglant le robot britannique dans un duel acharné. Dans la foulée de son triomphe ibérique, le Colombien s'était imaginé pouvoir remporter les trois Grands Tours à la suite, à la manière d'un Alberto Contador en 2015, qui avait seulement échoué sur la Grande Boucle. Nairoman n'a même pas eu à attendre la grande messe de juillet pour cerner ses limites puisqu'il fut dominé dès le Giro 2017 par Tom Dumoulin.
Vaincu en Italie, trois ans après sa victoire de 2014, mal lui en a pris de se présenter au départ du Tour 2017 dans un état de forme précaire. Pour un champion de sa trempe, le voir rallier Paris à la douzième place a fait grincer pas mal de dents. Après le fiasco du Tour, on ne l'a plus revu de l'année, si ce n'est au Mondial de Bergen sous le maillot de la sélection colombienne. Réputé pour trop s'entraîner, le Condor roulait maintenant également trop en compétition, se mettant à dangereusement régresser. Il a donc préféré partir se ressourcer sur son plateau natal de Boyacá, à 3 000 mètres d'altitude, loin de la frénésie européenne et des rumeurs délirantes. Ses relations avec son manager Eusebio Unzué se sont tendues l'été dernier, à tel point que le Condor des Andes a plusieurs fois songé à quitter Movistar, sa maison et son équipe de toujours.
En novembre, il a appris avec stupéfaction le recrutement de Mikel Landa dans son équipe, ce qui n'a rien arrangé au tableau. Landa qui roulait pour Aru chez Astana, puis pour Froome chez Sky, n'a pas fait dans la dentelle en revenant au pays dès la présentation de l'équipe en décembre 2017, à Pamplona. Il a affirmé droit dans les yeux à Unzué et Nairo qu'il venait chez Movistar pour gagner le Tour de France. En manager vicieux, Unzué a laissé faire pour mieux piquer l'orgueil de son champion colombien. Jusqu'à présent, bien lui en a pris, puisque Nairo remonte progressivement la pente. Au dernier Tour de Suisse, le Condor a signé une encourageante troisième place au général, assortie d'une victoire d'étape. Surtout, il a permis de définir momentanément les rôles, avec un Landa en équipier de luxe qui aurait plus ou moins accepté de rester dans l'ombre de son leader sur le prochain Tour de France.
Quintana a mis la pression à Unzué tout le printemps pour envoyer Landa au Giro, et donc de se débarrasser de sa menace en interne sur le Tour de France. Soumis à de fortes allergies au pollen en mai, Landa a refusé la proposition du boss de la Movistar, en échange de ne pas faire d'ombre à Nairo en juillet, puis d'être leader unique sur la prochaine Vuelta. Unzué semble avoir accepté l'offre. Mais entre un vieillissant Alejandro Valverde qui gagne toujours beaucoup de courses, et un Marc Soler qui cogne fortement à la porte, la promesse d'une Vuelta avec Landa en leader unique reste des plus incertaines.
En fin visionnaire, Eusebio Unzué sait que la première semaine terrible dans le nord de la France, avec en point d'orgue l'étape inhumaine des pavés menant à Roubaix, peut mettre bon nombre de leaders au tapis avant même le début de la haute montagne. Il vient donc avec Quintana et Landa sur le Tour pour assurer à minima le podium à Paris. Si l'un des deux perd la Grande Boucle avant Roubaix, il aura fait le bon choix. Dans le cas contraire, cela deviendra probablement la guerre en interne puisque Landa reste un Basque marginal et solitaire, pas vraiment réputé pour tenir ses promesses.
Quintana connaît très bien l'équation complexe qu'il doit résoudre en ce mois de juillet 2018. Pour remporter enfin le Tour de France, il doit maintenant faire face à deux problèmes. Être plus fort que les autres équipes, tout en maintenant au pied l'insaisissable Mikel Landa. A 28 ans, Nairoman n'a plus le temps. Par précaution, il ne parle plus de Sueño Amarillo comme en 2016. La folie hystérique déclenchée par ce rêve dans son pays l'a beaucoup fait relativiser. Le Condor ne veut dorénavant plus être au centre d'attentes qu'il ne pourra combler. Et pour se libérer de la pression immense sur ses épaules, il cite désormais le plus souvent possible Miguel Ángel López et Egan Bernal comme ses potentiels successeurs en Colombie.
Après six années au top niveau, tout le monde voit régresser dangereusement Nairoman depuis un an et demi. Il n'a plus gagné aucune course majeure depuis Tirreno-Adriatico, en mars 2017. Cette année, il a été dominé en Catalogne par son vieil équipier Alejandro Valverde, et pire au Pays basque par le dangereux Mikel Landa. S'il semble avoir rééquilibré un tant soit peu la balance sur le dernier Tour de Suisse, Quintana n'a plus le choix. En bout de course chez Movistar, mais peut-être dans sa carrière tout court, il se doit absolument de remporter le Tour de France 2018. Pour lui, pour la Colombie, pour remporter la course ultime qu'il lui manque...